Discours de Jean-Jacques Aillagon
Mesdames et messieurs, chers amis,
C'est une occasion heureuse qui nous rassemble ici, en ce bel hôtel d’Angoulême-Lamoignon, dernière résidence royale construite dans le Marais, lieu emblématique de Culture, d'histoire et de mémoire, puisque sur ma proposition, le Président de la République a décidé d'élever Serge Bouillon au grade de Chevalier de la Légion d'honneur.
Cette haute distinction vient récompenser une action remarquable mais aussi couronner ceux qui, au-delà de la bonne exécution de leur métier, se dévouent par la réflexion et par l'action au service de l'intérêt général.
L'homme de spectacle que tu es, a exercé toutes les fonctions de ce vaste domaine. Tour à tour comédien, régisseur, attaché de presse, administrateur, directeur, tu as tout fait dans ce métier dont on dit qu'il est l'un des plus beaux du monde.
Des personnalités importantes jalonnent ta brillante carrière. Charles Dullin fut ton professeur, Jacques Hébertot fut ton maître.
En 1952, il t'engage en qualité de régisseur. En 1953, tu deviens son Directeur de scène avant d'être en 1962, son plus proche collaborateur.
Au cours de toutes ces années tu as côtoyé les plus grands auteurs : Henry de Montherlant, Albert Camus, André Malraux, Thierry Maulnier, Jules Romains, Samuel Beckett, Marguerite Duras, Harold Pinter, Jean Anouilh, Jean-Paul Sartre...
Les metteurs en scène les plus prestigieux : Michel Vitold, Marcelle Tassencourt, Roger Blin, Laurent Terzieff, Raymond Rouleau, Jean-Laurent Cochet, Guy Rétoré.
Tu as été d'Administrateur recherché de prestigieux festivals, de tournées et de théâtres, celui du Vieux Colombier, des Mathurins, de Bobino, du Théâtre Hébertot pour l'expérience d'alternance de Jean-Laurent Cochet, et du TEP de Guy Rétoré.
Tu as présidé 10 ans l 'Association de la Régie Théâtrale, puis quinze ans le Syndicat National des Administrateurs de Théâtre et de l'Encadrement du Spectacle.
Conseiller prud'homal depuis 1976, tu es encore aujourd'hui Président d'audience de la section encadrement de Paris.
En septembre 1977, tu ajoutais à ces tâches la charge de l'enseignement, puis de la gestion théâtrale à l 'Ecole Nationale des Arts et Techniques du Théâtre et à l'Institut théâtral de Censier.
Mais c'est à Bagnolet que tu as donné toute ta mesure.
En février 1980, tu es nommé Directeur du Centre de Formation Professionnelle des Techniciens du Spectacle, alors en très sérieuse perte de vitesse. Ta mission consiste à refonder le CFPTS à Bagnolet dans des locaux récemment acquis par le Fonds de Soutien du Théâtre Privé.
Tu comprends aussitôt que la formation des jeunes issus du milieu scolaire exige des locaux, installations et équipements dont l'établissement est totalement dépourvu et que son budget annuel de 500.000F ne permet pas d'acquérir.
Tu envisages alors d'ajouter à cette activité de base la Formation Continue.
Puis, conscient de l'inadaptation de l'enseignement d'alors à l'évolution de la réalité professionnelle, tu mets au point un cursus totalement innovant, de l'enseignement de la régie théâtrale, cursus qui donnera au CFPTS toutes ses chances de réussite, qui sera repris par l'éducation nationale, adopté par tous les autres établissement de formation et qui te vaudra d'être fait quelques années plus tard Chevalier des Palmes académiques.
Pour les professionnels du spectacle, c'est le début d'une belle aventure : 40 stagiaires viendront chaque année à Bagnolet apprendre leur métier,350 à 500 professionnels s'y perfectionneront ou acquerront de nouvelles qualifications. Lorsque, avant toi, de solides techniciens étaient requis pour le son ou pour la lumière, c'est à Londres qu'on allait les chercher. Tu as fait en sorte qu'aujourd'hui, ce soit à Bagnolet. Tu as rendu à la technique française ses lettres de noblesse.
Difficile aujourd'hui de circuler sur les scènes de l'hexagone, qu'elles soient publiques ou privées, sans rencontrer des techniciens passés par le CFPTS.
Lorsque fin 1996, tu fais valoir tes droits à la retraite, tu auras, à partir de deux bureaux vides, d'un matériel inexistant, d'un budget annuel de 500.000 Francs, avec pour tout personnel une secrétaire, construit et équipé 7000m2 de locaux idéalement adaptés à la formation, réunis un personnel de 180 techniciens triés sur le volet, engagé 18 collaborateurs permanents de très haut niveau, réalisé dans cette seule dernière année 495 stages.
Et ton dernier exercice comptable mettra en évidence un chiffre d'affaires d'un peu plus de 17 millions et demi de francs. Tu auras aussi jeté les bases, avec les autorités de la Région Ile de France, de la création du CFA du spectacle.
Toi qui as pratiquement toujours exercé simultanément deux métiers, on t'a rencontré, ces quarante dernières années sur tous les lieux où la profession réfléchit sur elle-même et sur son avenir. N'as-tu pas inventé , en quelque sorte, en 1977, une initiative de prospection du public, Interspectacle, qui mériterait sans doute d'être reprise aujourd'hui.
Quoi d'étonnant donc que l’Étranger t'ait réclamé, que par exemple, les bases des conventions collectives espagnoles t'aient été soumises, que tu aies été membre de tant d'instances officielles, Commission nationale de la Licence, Conseil National de la Scénographie, Conseil National du Spectacle, Commission Nationale paritaire pour l'emploi et la formation, etc.
Tu fus, mon cher Serge, un homme incontournable. Tu l'es toujours, puisque 7 ans après avoir pris une retraite méritée, tu continues à œuvrer avec l'AFDAS, à te battre pour la Maison du geste et de l'image, à servir l'Association de la Régie Théâtrale et à t'occuper de production.
Tu as compris avant beaucoup d'autres qu'il fallait faire l'Europe des métiers et des hommes avant de faire l'Europe des traités et tu t'y es employé.
Tu as laissé tes marques, ta marque, en Espagne, au Portugal, en République Tchèque, à Moscou, à Caracas...
Tu es cependant resté un homme discret et modeste et je citerai, pour conclure, une récompense qui toucha ton cœur, la médaille pénitentiaire, qui te fut remise par le Ministère de la Justice, pour avoir organisé, en milieu carcéral des stages de formation qui se poursuivaient à Bagnolet, après libération conditionnelle des détenus. Plusieurs jeunes, sortis de Fleury Méroges firent ainsi reconstruits et sauvés par l'exigence professionnelle des gens du spectacle.
Ce n'est pas un hasard si tu as choisi cet endroit pour nous réunir, puisque c'est notamment à ton initiative que fut conclu, en 1969, l'accord entre l'Association de la Régie Théâtrale et de la ville de Paris, au terme duquel, les prestigieuses collections, pieusement engrangées depuis l'aube du XXème siècle, constituent un fonds d'une importance considérable consacré au spectacle vivant.
C'est vrai que tu as beaucoup fait, beaucoup donné.
Ce qui me frappe quand je considère ta carrière commencée en 1947, c'est qu'elle a toujours été axées sur trois plans, à l'image des fameux trois coups du Théatre :
Ton métier d'homme de spectacle,
Ta vocation d'homme de formation,
Ton action dans les instances professionnelles et syndicales pour servir une profession à laquelle tu as consacré ta vie.
Tu es un homme de cœur et c'est avec joie que je vais te remettre, en présence de tes amis, les insignes de la Légion d'honneur.
Serge Bouillon, au nom du Président de la République, nous vous faisons Chevalier de la Légion d'honneur.
Jean-Jacques Aillagon
ancien Ministre de la Culture